samedi 14 juin 2008

M25 - Interpol : rétrospective

Un an après la sortie de leur troisième album, Our Love To Admire, retour sur la discographie du groupe new-yorkais.


Le groupe s'est formé en 1998 mais ce n'est qu'à partir du début des années 2000 que Interpol va commencer à faire parler de lui, après des concerts réussis et la sortie de quelques démos prometteuses, le Fukd I.d #3 EP (2000) et le Precipitate EP (2001). Cela leur vaut d'être repérés par le label Matador Records, sur lequel ils signeront un EP éponyme puis leur premier album en 2002.

Turn On The Bright Lights



À l'époque, l'album fait son petit effet sur la scène du rock indépendant. Alors que de nombreux groupes surfent sur la vague d'une musique formatée et sans surprise, Interpol se place à contre-courant en proposant un retour au post-punk et à la cold-wave anglaise des années 80 : on pense évidemment à des groupes comme Joy Division (pour le chant et l'ambiance sombre), The Cure période Disintegration (la basse), ou encore Echo & The Bunnymen ou The Smiths (la guitare).

Avec ce premier album,
Interpol fait une véritable démonstration de force. Du premier au dernier morceau, absolument tout est sublime. Turn On The Bright Lights est une véritable perle profondément noire, peu optimiste, voire même assez déprimante et pourtant terriblement enivrante. Alors que des morceaux comme "Untitled", "NYC", "Hands Away" ou "Leif Erikson" diffusent chez l'auditeur mélancolie et tristesse, Interpol sait également composer de véritables chansons de rock épique comme "The New", "Roland" ou "Say Hello To The Angels", morceaux certes flamboyants mais toujours très bouleversants par leur obscurité.


Les membres d'Interpol sont encore très jeunes et font pourtant preuve d'une incroyable maîtrise, mariant à merveille une ambiance grave et poignante à un rock sophistiqué, tout en parvenant à un plaisir d'écoute immédiat. Le chant de Paul Banks est superbe, parvenant sans mal à faire ressentir son mal-être et ses déceptions, grâce à un lyrisme tout en retenue et discrétion. La guitare de Daniel Kessler montre qu'il n'est pas nécessaire de jouer des solos interminables et rivalisant de complexité pour transmettre des émotions : des notes judicieusement agencées, des sonorités remarquablement adaptées et (surtout) de l'inventivité suffisent à créer des ambiances superbes, très cinématographiques ("Untitled", "Stella Was A Diver And She Was Always Down", "Hands Away", "Leif Erikson" en sont les exemples les plus démonstratifs). Enfin, la section rythmique, assurée par Sam Fogarino à la batterie et Carlos Dengler à la basse, est prodigieuse de rigueur : martiale et percutante, elle rythme à merveille la triste mélancolie de l'album.


"Untitled" [LIVE]


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Antics



Après une tournée mondiale et des concerts en première partie de The Cure, Interpol revient en 2004 avec son deuxième album, Antics. Il s'agit ici pour le groupe de confirmer le succès critique de leur premier album, et de passer le difficile cap du deuxième album. La tâche est ardue, tant Turn On The Bright Lights semblait tutoyer la perfection, et il est clair qu'Interpol n'a pas eu l'ambition d'égaler la qualité de son premier album, mais tout simplement de proposer un rock moins sombre et plus accessible. Antics voit apparaître au sein de la musique d'Interpol les synthés et une post-production bien plus présente comme sur le morceau d'introduction "Next Exit". Sur cet album, tout semble plus "net", plus "clair". Les guitares subissent moins d'effets d'échos et de distorsions et sont bien plus incisives (les riffs de "Narc" et de"C'mere"), le chant de Paul Banks est moins mélancolique et navigue plus dans le registre d'une colère contenue tant bien que mal. Seuls éléments inchangés, la batterie et la basse se montre moins percutantes, bien que toujours aussi carrées et régulières. N'allez pas croire que cet album est bien moins bon que leur premier ! Certes, il l'est un petit peu, l'effet de surprise a disparu et l'émotion avec elle, mais Interpol conserve ses traits de génie : combien de groupes sont capables de composer des morceaux comme "Take You On A Cruise", "Not Even Jail" ou "Public Pervert" ? Le groupe s'aventure également avec succès sur un territoire qui lui était inconnu, celui d'un rock énergique et bien plus accessible avec "Slow Hands", "C'mere" et "Length Of Love".


Interpol n'est donc pas parvenu à atteindre le niveau qui était le sien sur Turn On The Bright Lights mais cela ne semblait pas être leur but. Ils ont tout de même composé un grand album de rock, plus percutant et énergique que ce à quoi on pouvait s'attendre, mais survolant toujours autant le niveau moyen de la production rock malgré son manque d'originalité.



"Public Pervert" [LIVE]

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Our Love To Admire



Pour cet album, Interpol a décidé de changer de paysage en passant du label Matador à celui de Capitol Records. On attend alors beaucoup du groupe : retrouver un nouvel élan après un deuxième album en manque d'inventivité et parvenir à replonger l'auditeur dans le même état de bonheur triste comme ils pouvaient le faire avec Turn On The Bright Lights. Mais le groupe, très exigeant avec lui-même et toujours en quête de changement, propose un album résolument différent. Il abandonne définitivement toutes ses influences 80's pour se concentrer sur l'élaboration de son nouveau style, bien plus propre, "classieux" et complexe. Pourtant, le single "The Heinrich Maneuver" ne présageait rien qui puisse aller dans ce sens : certes énergique et dansant, il ne faisait montre d'aucune originalité, malgré un changement de sonorité notable.


Our Love To Admire démarre donc avec "Pioneer To The Falls", long morceau introductif de près de 6 minutes qui ressemble à une sorte de transition, une sorte d'étape pour le groupe. On y retrouve bien cette guitare caractéristique, ce chant grave et cette batterie martiale mais quelque chose a changé : le synthé et le piano ont désormais leur place dans la musique d'Interpol, tout comme la grandiloquence et la majesté. Le groupe abandonne ce qui le rendait si caractéristique : cette fausse modestie qui cachait une musique sophistiquée et inventive. Désormais, Interpol assume pleinement son rôle de groupe majeur de la scène rock mondiale et entend bien le montrer en proposant un album bien plus ambitieux, bien loin du post-punk et de la cold-wave qui avaient fait leur succès. Malheureusement, avec Our Love To Admire, le groupe alterne le bon ("No I In Threesome", "The Scale", "Pace Is The Trick") et le moins bon ("The Heinrich Maneuver"), le purement génial ("All Fired Up", "Rest My Chemistry") avec le vraiment nul ("Who Do You Think"). C'était le risque que courait le groupe en souhaitant évoluer : ne pas trouver tout de suite sa place et naviguer entre deux eaux. Ne sachant pas très bien où se placer, Interpol produit donc un album irrégulier mais qui se clôt malgré tout sur deux superbes morceaux, "Wrecking Ball" et "The Lighthouse" qui semblent montrer ce vers quoi le groupe souhaite se tourner : une musique finalement minimale ("Wrecking Ball") et plus théâtrale (le final de "The Lighthouse", magique).



"Pioneer To The Falls" [LIVE]

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Interpol est donc en définitive un groupe qui a souhaité fuir ce dans quoi la critique a eu tôt de fait de le classifier, le genre certes prestigieux mais ô combien restreint qui marie le post-punk et la cold-wave des années 80. Après un premier album magistral, le groupe a tenté tant bien que mal d'évoluer avec Antics, pour amorcer définitivement son virage avec son troisième album, un virage qui s'achèvera certainement avec un quatrième effort dont, comme à l'accoutumée avec ce groupe, on attend beaucoup. Tout d'abord qu'il soit bon (forcément !), mais aussi qu'il nous éclaire sur la direction prise par Interpol.


Myspace

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