samedi 24 mai 2008

L01 - "La Route" de Cormac McCarthy

Un homme et son fils, anonymes.
Deux humains qui luttent pour leur survie, pour avancer.

Qui luttent contre quoi ? Contre rien.


Rien, c'est ce qui reste du monde, pour une raison qui restera inconnue du début à la fin du roman. On parle seulement de "tempêtes de flammes" et de "grandes lumières dans la nuit". L'apocalypse en quelque sorte. Depuis lors, les cendres sont partout. Au sol, recouvrant petit à petit toute trace du monde antérieur. Dans l'eau, rendue toxique et boueuse. Dans les airs, masquant totalement la lumière du soleil.
La route parcoure par les deux personnages vers le Sud à la recherche de chaleur est généralement brûlée, le macadam ayant fondu, et jonchée de détritus, de voitures et de cadavres desséchés, capturés dans le goudron. Dès qu'on quitte la route, on ne rencontre que des maisons vides, pillées, des forêts d'arbres carbonisés, où ne se trouve comme gibier qu'ossements d'humains et d'animaux.
Du passé, on n'apprendra quasiment rien, hormis quelques retours en arrière dans les souvenirs du père, seule preuves pour son fils, âgé d'une huitaine d'années, de l'existence passée d'un monde vivant. Car le petit garçon n'a connu que ce spectacle de désolation et de mort. Sa vie d'enfant n'a toujours été réduite qu'au plus simples fondements : manger, dormir, marcher, trouver de quoi se nourrir, supporter la faim, traverser des villes fantomatiques, abandonnées depuis des années, se protéger des intempéries et, surtout, des "méchants" comme il les appelle. Les méchants, c'est ce qui reste de l'humanité, des êtres barbares et violents, au centre des scènes les plus époustouflantes du livre. Capables de tout pour survivre : piller, tuer, et même dévorer leurs semblables.
Pourquoi l'homme et l'enfant avancent-ils encore ? Qu'ont-ils donc encore à espérer d'un monde proche de disparaître, alors que l'homme conserve précieusement un antique revolver dans lequel il ne reste que deux cartouches, échappatoires vers une mort finalement plus douce que cette vie ? Ils avancent parce qu'ils ont la foi. Non pas une foi religieuse, car comment pourrait-il encore être possible de croire ? D'ailleurs, l'homme dit : "Il n'y a pas de dieu et nous sommes ses prophètes". Révélateur.
En réalité, cette foi, c'est l'espoir, le feu, la quête aveugle d'une chose inconnue, comme l'explique l'homme à son fils :

"Il faut que tu portes le feu.
Je ne sais pas comment faire.
Si, tu sais.
Il existe pour de vrai ? Le feu ?
Oui, pour de vrai.
Où est-il ? Je ne sais pas où il est.
Si, tu le sais. Il est au fond de toi. Il y a toujours été. Je le vois."

Le père et l'enfant ne savent pas ce qu'ils recherchent mais ils continuent à avancer car ils n'ont que cette unique perspective devant eux.


Cormac McCarthy

La crainte à l'annonce de ce livre était essentiellement concentrée sur son thème. Un monde post-apocalyptique, lieu commun du roman de SF, cela avait de quoi nourrir les craintes d'une histoire sans saveur ni originalité. C'était sans compter sur le talent sans cesse renouvelé de son auteur, Cormac McCarthy.
Après le brillant
Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme (préférez-lui son titre original No Country For Old Men), adapté avec succès au cinéma par les frères Coen, Cormac McCarthy nous offre ici à contempler un style parfaitement adéquat au propos de son roman.
Une écriture dépouillée, réduite aux plus simples constatations et des dialogues minimaux, sans guillemets, de rares exclamations et interrogations. Des phrases simples mais brutes et lourdes de sens, qui en disent bien plus que le laisserait penser une lecture rapide. La narration est sans fioriture et ne s'embarrasse pas d'évènements inutiles, chaque chose ayant un sens.

Cormac McCarthy, au delà de son récit, nous parle de la beauté du monde actuel, regretté constamment par les deux personnages, il nous parle des hommes, de leur bonté mais aussi, et surtout, de leur violence, il nous parle de l'amour, celui d'un père pour son fils.
Le Prix Pulitzer 2007 qui a récompensé
La Route n'est pas volé, il récompense une brillante unicité entre fond et forme, l'écriture est à l'image du monde décrit, épurée, brutale et somptueuse de désolation.

Verdict : 4,5/5

À noter qu'une adaptation cinématographique est en tournage, avec John Hillcoat à la réalisation et Viggo Mortensen dans le rôle du père.

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